Chronique Dragon Ball Super: Broly - Du coeur à l'ouvrage

par Bruno de la Cruz,
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Projeté dans les salles japonaises depuis le 14 décembre 2018, le film Dragon Ball Super: Broly est un tour de force technique de grande ampleur qui marquera son temps. Ce résultat, il le doit à une production clairement calquée pour en faire un film d'animateur.

Les notes d'intention n'étant pas réservées qu'aux auteurs, le film Dragon Ball Super: Broly avait une mission, celle d'introniser des personnages iconiques dans la timeline de Dragon Ball, et d'en faire profiter le segment Super (ou sa suite). Un jeu de chaises musicales dans lequel le cahier des charges s'interdit une trop large réécriture, mais ne bannit pas les entorses à l'imaginaire collectif ou aux traces du passé. DBS:Broly prend alors les choses dans l'ordre : l'intuition de Bardock, l'arrivée au pouvoir de Freeza, et le destin qu'on connait de Goku. Dans un intervalle, la production et Akira Toriyama veulent visser l'histoire de Broly, tout en préparant le terrain à un autre personnage inédit mais apprécié, Gogeta. Cette colonne vertébrale installée, voyons comment le film s'est construit.

Dramaturgie où es-tu ?

Dire que DBS: Broly n'invente (presque) rien n'est pas péjoratif, ce n'est tout simplement pas son intention première. Ce serait un procès malhonnête que de lui reprocher ca. C'est désormais ainsi, les films Dragon Ball ne sont plus une cours de récréation définie (les réalisateur sortaient du carcan), mais des segments promis à survivre (le bal des fins ouvertes), lançant de nouvelles pistes à explorer.
Si l'on retient en premier lieu l'incroyable tour de force de son final, la réalisation de Tatsuya Nagamine se veut très patiente pour raccrocher les wagons et repeindre le devenir de ce peuple désormais assouvi que sont les saiyans. Avec simplicité, on découvre une partie du quotidien de Bardock, ce guerrier voyant venir la catastrophe, la jalousie du Roi Vegeta vis-à-vis de Paragus, ainsi que les premiers pas de la future génération symbolisée par Vegeta. Retour dans le passé forcément évocateur de souvenirs pour les fans, cette partie de la saga est régulièrement citée comme l'une des meilleures de Dragon Ball.
Ce rappel doit donc ensuite devenir une raison d'être, 131 épisodes de Dragon Ball Super plus tard. Voilà pourquoi la graine de la vengeance permet à Broly, véritable arme de son père pour mater le Roi Vegeta, d'endosser le faux rôle d'antagoniste du film. La réécriture de Broly est l'une des principales attractions du métrage. Ici, Broly devient un personnage bien plus lisse (humain ?) que dans sa précédente version. Confronter les deux intentions n'est pas un jeu particulièrement productif (les deux hommes se connaissent très bien), et ces quelques lignes ne veulent en aucun cas hiérarchiser les démarches, mais il permet de mesurer le poids d'un réalisateur sur les métrages de Toei, à des périodes et des fins biens différentes.

Le "Broly de Nagamine" profite d'une présentation plus chaleureuse, avec des séquences dévoilant son enfance attirant une certaine empathie envers ce guerrier élevé dans le seul but d'assouvir la vengeance de son père. Broly devient alors une éponge, absorbant tout ce qu'il touche (la sympathie de son nouvel entourage, la force démentielle de ses opposants…), devenant un ennemi innocent, soulignant une nouvelle fois comment Goku contamine son entourage (on notera quand même que Broly contamine Goku à son tour, ce dernier disant s'appeler aussi Kakarotto, signe qu'il s'est peut être reconnu dans cette forme de pureté; de naïveté). Dans ses fondement, la construction de Broly marque l'exact contraire de ce qu'avait proposé Shigeyasu Yamauchi.
Souvent réduit à un brute féroce, ce Broly d'alors marquait la facette d'auteur du réalisateur, capable de créer une mythologie et, de surcroît, confronter une aberration face à elle même, à savoir sa démesure (et sa nature de victime, répétée ici). Cette approche poussait Broly à produire un acte d'une immense portée symbolique : tuer son propre père, une image forte et triste - Yamauchi a toujours revendiqué la solitude comme une poutre de construction de Broly - balayées du film de 2018 via un Freeza décidément bien au courant de sa propre fiction (Freeza occupe d'ailleurs une place centrale dans la structure du film)
En terminant sur les personnages, la nouvelle figure de Gogeta interpelle aussi. Si ce Broly cite clairement son aîné (lorsque qu'il traîne Goku sur la façade d'un mur), il ne pouvait en faire de même avec la fusion. Ainsi, on oublie la dimension divine, aérienne, supérieure et presque intouchable imaginée par Yamauchi, et on accueille un Gogeta plus fourbe, presque blagueur, se rapprochant finalement de Vegeto. Une question de choix, de conviction. Là ou Yamauchi choisissait d'arrêter le temps et de faire fondre une musique mélancolique sur la grave situation de nos héros, Shintani opte pour un rythme frénétique sans respiration, dopé de musiques nerveuses. Prenez ça comme une pure réflexion personnelle : bannir le happy end aurait marqué durablement l'histoire de Dragon Ball. Mais peut être devons nous évoquer ce sujet une fois que le film sera vu de tous.

Sans grande dramaturgie, ni hauteur - la menace ne plane jamais -, le film n'oublie pas l'humour si décontenancé de Toriyama, et le combat pur, fibre essentielle de Dragon Ball et extension inévitable de Z. Le spectacle est tout bonnement exceptionnel, entrant immédiatement dans le top de la licence. Si on parle régulièrement de puissance, le film Broly se démarque surtout par une finesse technique, tant dans ses chorégraphies qu'au niveau du body acting (jeu d'épaule, regards, déhanchés). Le staff a pensé à répondre à une excitation majeure née des affrontements de Dragon Ball : comment être ingénieux dans un univers où tous les personnages ont, à peu de chose près, la même approche du combat ? Ce merveilleux résultat s'explique évidemment par la présence des meilleurs talents locaux : si Naoki Tate continue de diviser la communauté, on peut se réjouir que son identité ne se soit pas calquée à une norme de cohérence, format oblige.
À ses côtés, le rythme si singulier de Naotoshi Shida et les cuts "madeleine de Proust" de Yūya Takahashi font merveille. Dans cette mare de bonnes idées, on pense notamment à la scène de combat en caméra embarquée, démentielle, que n'importe quelle VR ne saurait égaler. Le soin portée à la photographie, composée de tons plus riches au fur à mesure du film, réchauffe aussi la dimension artistique vue dans les années 1990 (on sera moins clément avec la CGI).
Enfin, le film profite aussi de quelques guests 5 étoiles, comme Yoshihiko Umakoshi - grand allié de Shigeyasu Yamauchi et déjà passé sous la direction de Nagamine - et Chikashi Kubota pour étirer encore plus haut le défi, transformant chaque cut en déclaration d'amour plus folle l'une que l'autre. Précisons enfin que trois français, Eddie Mehong, Ken Arto et Mehdi Aouichaoui, ont participé au show après avoir raté le rdv du format TV.

Le champ libre

D'après les premières informations récoltées, la production de l'animation du film se serait étendue sur 18 mois environ, et le storyboard n'était pas encore fini au mois de d'avril (et même un peu plus tard concernant le dernier tiers du film). Cela peut paraître surprenant, mais c'est au contraire une indication très claire sur la vitalité de la réalisation. Les dernières séquences ne s'agencent peut être pas à la perfection - certaines transitions sont violentes - mais cela participe à la fougue du film, mi MAD de sakuga, mi allégorie de la capacité d'un animateur en quête d'Ultra Instinct.
Le virage artistique opéré par la prise de positon de Shintani au détriment de la légende Tadayoshi Yamamuro a demandé une très studieuse session de correction. Par exemples, les cuts de nos Français ont mis six mois pour être corrigés par un Shintani particulièrement précautionneux dans son travail, vérifiant chaque plan, et au moment de commencer à travailler sur le projet pratiquement aucun matériel n'était à la disposition des français. Ils ont même du puiser dans leur imagination pour les décors. Seuls quelques model sheets et une pincée de documents de cut très rough leur on servi de repère. L'identité même de "l'ennemi" leur fut révélée que plus tard. . Si le maître-mot du réalisateur a été, justement, de se lâcher, sans compter le nombre de plans que pouvait demander une scène, le style imposé par Shintani est une rondeur à apprivoiser. Autre information importante, la production n'a pas imposé les plans à prendre.
Excepté le final laissant parler les identités de chacun, la production a porté une grande attention à l'acting, demandant à certains de piocher dans la première moitié du manga Dragon Ball pour s'accaparer du trait de "Tori".

Au final, Dragon Ball Super: Broly est le résultat de sa fabrication, plus instinctive et rugissante que poétique. S'il n'invente (presque) rien, se contentant d'emboîter avec justesse les pièces d'un puzzle destiné à croître. Le film se dévore telle une première partie, une introduction sans deuil. Sa production a laissé quasi carte blanche aux animateurs afin qu'ils déclarent tout leur amour à la saga. Un choix qui fait de Broly un excellent film de son époque, cette liberté étant, fut un temps, le bien du metteur en scène. De ce fait, il raconte quelque chose.


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