Beastars, des animaux bien trop humains

par EmmaNouba,
Voulez-vous définitivement définir votre édition comme Français ? oui

BEASTARS commence comme un polar. Les premières minutes de l'adaptation animée du manga de Paru Itagaki, une talentueuse mangaka d'à peine trente ans, démarrent à cent à l'heure et combinent des plans dignes du 7e art. Entre la poursuite en mode travelling survolté et les astuces graphiques pour représenter la proie dans le noir, BEASTARS donne le ton : c'est original, inventif, créatif et à chaque fois étonnant.

Produits par TOHO animation et fabriqués par le Studio Orange, très porté sur la 3D (Dimension W), ces douze épisodes couvrent à peu près les six premiers tomes (sur 17 actuellement). La première saison a été diffusée pour la première fois au Japon entre le 10 octobre et le 26 décembre 2019 et est disponible sur Netflix depuis le 13 mars 2020. Une seconde est déjà commandée pour 2021.

C'est un sacré pari qu'a remporté avec un talent certain, Shinichi Matsumi. Si le réalisateur signe avec BEASTARS sa première réalisation importante, l'artiste s'est fait la patte comme assistant sur Pompoko et Porco Rosso. Nanami Higuchi signe le script et retranscrit avec fidélité le manga originel. Même constat, le chara design de Nao Ôtsu respecte le graphisme si efficace d'Itagaki, alliant élégance et force. Les personnages sont parfaits, tout comme les décors de Minami Kasuga (Bungo Stray Dogs 2, Terra Formars). Et l'on ne se lasse pas de l'animation 3D, supervisée par Eiji Inomoto, un vieux de la vieille de la CGI. Cette dernière est d'ailleurs tout juste remarquable et parfaitement utilisée, notamment dans les pelages des personnages. L'unique moment qui est en motion capture est l'incroyable opening, une véritable merveille déclinée sur Wild side d'ALI.
Autre point bien négocié entre le manga et l'anime : la couleur, déclinée parfaitement par Ken Hashimoto (Boogiepop and Others, Mai Mai Miracle), le tout est agrémenté d'une bande originale composée par Satoru Kôsaki (Nisemonogatari, Fate/Extra Last Encore).

Si BEASTARS est une série sans hommes, ni femmes, avec des animaux, à la façon de Maus, saluons une excellente VF avec un casting de choix : Jim Redler (VF de Shia LaBeouf) prête son timbre à Legoshi, Stéphane Fourreau (VF de Sendhil Ramamurthy) campant Louis, Benjamin Bollen (VF de Jamie Bell) apportant son talent à Jack, le labrador, sans parler de Joël Zaffrarano (VF de Hugh Jackman), en fennec bourru, Voss. Autres choix judicieux, Frank Sportis (VF de Miaouss), jouant le panda géant, version Rambo, Gohin, docteur et thérapeute pour carnivores ou la jeune actrice Diane Kristanek dans le rôle de la douce et ensorcelante Haru. Tous donnent corps avec passion à ces personnages, animaux aux attitudes on ne peut plus humaines.

Après le crime de l'alpaga, on découvre le lendemain l'effarement et la peur dans la microsociété qu'est l'Académie Cherryton, un lycée à la Cambridge, où étudient nos héros. L'équilibre très fragile entre les carnivores et les herbivores semble ébranlé. Legoshi (Regoshi, en VO) est un ado de 17 ans qui galère avec son immense corps de loup gris. Il n'en peut plus de grandir et est obsédé par ses « mauvaises » pensées de carnivore. Il a opté pour la méthode passe-muraille et choisit d'être le plus discret possible pour qu'on l'oublie. Pas simple de passer inaperçu avec sa carcasse immense de canidé, surtout quand un crime a eu lieu et que c'est signé par les crocs d'un carnassier. Et pourtant, le jeune loup n'a pas tué son ami, son pote du club théâtre. C'est même, pourrait-on dire, un agneau ! Pourtant la peur commence à faire ses effets et l'angoisse devient palpable.

Un Lycée aux animaux aux accents Bill Plymtonien

Très vite, on bascule du polar à la vie quotidienne d'une bande de lycéens presque classique avec des histoires d'amour, de chef de BDE, en l'occurrence de Beastar, le sobriquet de celui qui sera élu Mr Lycée. Dans cet établissement où les carnivores sont passés aux protéines végétales, on croise lions, tigres, brebis, chats, lapins, chiens et autres bestiaux. Celui qui brigue le titre est un magnifique cerf rouge, Louis (Rouis) et les rênes du pouvoir sont ici tenues par le proviseur, un lion. BEASTARS s'inscrit parfaitement dans les codes du manga de lycée, ce qui fait son piment est la manière dont Paru Itagaki pousse à fond les stéréotypes qui collent à chaque espèce animale, comme l'a fait George Orwell avec sa Ferme aux animaux.
Legoshi, en bon carnivore, ne manque-t-il pas de céder à ses bas instincts ? N'a-t-il pas failli dévorer la frêle lapine Haru ? Dans la culture populaire européenne, le loup est celui des contes et il est retors et méchant, il mange la chèvre et la grand-mère du Chaperon Rouge. Mais n'oublions pas que l'autrice a été biberonnée au cinéma et aux films d'animation américains et son loup tient aussi du personnage de Tex Avery. Comme tout adolescent qui voit son corps grandir à vitesse grand V, il est empêtré dans un costume trop grand, et aimerait qu'on ne le voie pas. A cela, s'ajoutent les « pulsions » qu'il doit affronter, subtile métaphore des assauts hormonaux de la puberté. Ces derniers chez un loup en parfaite santé peuvent être décuplés tout comme son odorat de canidé est hyperdéveloppé, comme le souligne Jack, le labrador quand il découvre du porno lapin dans le sac de son ami d'enfance. Legoshi se bat avec lui-même face à ses pulsions de loup ou celles d'adolescent masculin ? La question reste ouverte et venant d'une mangaka, on ne peut s'empêcher d'y voir un petit coup de « Me too ».
D'ailleurs, le personnage de Haru est parfaitement dans cette veine. Lapine naine au pelage immaculée, elle est mal vue par toutes ses camarades, qui la considèrent comme une fille facile, mais elle assume totalement et ne se laisse pas démonter par les pestes du coin. Une fois encore, ce trait de personnage vient directement de la réputation de l'animal, connu pour se reproduire fréquemment. Ce serait donc dans sa nature de lapine. Comme petite chose, elle n'a en fait qu'une solution : se servir de son sex-appeal pour être protégée. Elle a un côté Jessica, dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, ce n'est pas faute, si elle est tombée dans un pot de sensualité depuis ses 12 ans, toute jeune, à l'instar d'un Obélix, version léporidé femelle et kawaii !
Pas de sexe dans BEASTARS, mais tout de même des suggestions, et un peu de violence, en font un anime à ne pas mettre sous les yeux des jeunes, malgré le dessin anthropomorphique ! C'est un peu comme si les personnages de Disney étaient passés par un prisme à la Bill Plymton, perdant au passage leur naïveté et quelques poils.

Rien n'est évident dans BEASTARS. Si un loup gris peut tomber amoureux d'une lapine naine, pourquoi n'aurait-il pas une attirance pour un cerf rouge ? Ah les hormones, impossibles à canaliser. Louis, l'élève le plus adulé, la star du club de théâtre, qui porte aussi un terrible secret comme tout animal par nature destiné à être chassé, trouble aussi notre gaillard le loup. Alors qu'on pourrait sombrer dans une histoire proche d'un soap brésilien (Armando aime Cecilia, qui aime Rosanna, qui aime Armando), avec des petits effets de Boy's Love, on l'évite et surtout l'anime propose des moments de grâce, des pas de côté sur certains élèves, personnages secondaires, à l'instar de Legom, la poule blanche, la voisine d'amphi de Legoshi. Tous les mercredis, quand elle le voit dévorer avec gourmandise un sandwich à l'omelette, faite avec ses œufs, Legom irradie de bonheur, même si jamais elle n'avoue au loup qu'elle est à l'origine de son bonheur gustatif.
Chaque personnage a son rôle à l'Académie : la poule représente l'archétype du travail consciencieux, régulier et fiable. L'action se resserre rapidement sur les membres du club théâtre.

Mises en abîme

On y trouve un bestiaire foisonnant : Sanu, le goéland président, Dom, le paon, mais aussi Kibi, membre comme Legoshi de l'équipe technique, ou la charmante louve, Juno, qui aimerait bien se rapprocher de notre héros. Aux émois amoureux de Legoshi et d'Haru, aux problèmes de Louis, éternel gibier, s'ajoute un élément central du drame : la pièce jouée devant les nouveaux arrivants. Trois représentations sont prévues. Si Louis est la vedette, il se blesse et donne le rôle au tigre, le prétentieux et très carnivore Bill. Et Legoshi va devoir entrer en scène. Il incarne un prédateur, un carnivore qui veut dévorer l'héroïne, protégée par un autre carnivore. Dans la distribution originelle, Louis campait le « gentil » carnivore et il affrontait Bill, en vilain. Cette fois, deux carnis sont face à face et ce spectacle de théâtre va être une véritable mise en abîme du combat intérieur de Legoshi, attiré par Haru, sexuellement au point de la manger ?

L'air de rien, le manga met le doigt sur des siècles de cache-misère utilisé par les hommes pour minimiser le viol, l'emprise. D'ailleurs, dans l'épisode centré sur sa relation avec Louis, on n'arrive pas à sentir si elle l'aime ou pas. Comme elle le dit à plusieurs reprises, quand on est si petite, on apprend à être en permanence dans la survie. On ne peut pas dire que Haru déborde de joie, c'est un personnage mélancolique, qui aime les fleurs, solitaire. Mais sous ses airs fragiles, elle ne se laisse pas marcher dessus par ses congénères et elle arrive à dompter sa peur du loup. Et pourtant, ce dernier est en pleine confusion. Il faut dire que sur scène, il s'est laissé piéger par le tigre, le malin, l'attirant vers son instinct de chasseur, de carnivore. Car tous ne vivent pas de tofu et d'eau fraîche. La viande, si elle est interdite, est toutefois en vente sur les étals du marché noir, tenu par les lions. Et c'est là que va être emmenée la belle Haru, afin de faire le régal du chef de la bande.
La pièce de théâtre fracasse la réalité de nos héros, la mise en abîme est complète.

BEASTARS n'est certes pas un conte philosophique, mais c'est une série vraiment passionnante, une plongée dans la période la plus compliquée de la vie de chacun, celle où, que l'on soit loup ou humain, on change et on abandonne l'enfance pour un monde adulte, pas toujours très rassurant. A découvrir sans modération.


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