Comment le monde du doublage fait-il face au COVID-19 au Japon ?

par Kim Morrissy,
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Ces derniers mois ont été bouleversé par la pandémie du COVID-19, et nous avons été témoins de nombreux retards dans l'industrie du divertissement. Le rapport de causalité est évident, et l'impact du virus sur la production, en particulier sur le monde des enregistrements et du doublage a été très brutal. Aussi notre équipe s'est-elle demandé quelle avait été la réponse de l'industrie face à cette situation, et quelle était devenue la nouvelle normalité. Pour se faire, nous avons interrogé Seiichi Nakayama, qui dirige les ingénieurs du son de la société G-angle.

Pouvez-vous nous décrire quel genre de société est G-angle et quel travail vous effectuez en tant qu'ingénieur du son ?

G-angle est une société de production digitale fondée en 2002 qui met la qualité en tête de ses priorités. Nous proposons des services d'enregistrement de voix, de production de musique, de promotion, de designs, de productions vidéo, et bien d'autres choses encore. Je suis le chef ingénieur en charge des studios d'enregistrement. Nos six studios sont majoritairement utilisés pour les enregistrements de jeux vidéo, mais nous proposons également des narrations professionnelles pour des publicités et autres médias. Nous pouvons enregistrer, éditer des voix, et même produire le mixage surround avec DolbyAtmos.

De manière générale, comment le COVID-19 a-t-il affecté la quantité de travail que vous êtes capable de fournir en une journée ?

Initialement, G-angle passe un total de 500 heures par mois à enregistrer pour ses clients, mais après que le gouvernement local a déclaré l'état d'urgence à Tokyo, nous avons pris la décision de réduire de moitié nos enregistrement pour protéger la santé de nos clients et de nos comédiens de doublage. Maintenant nous avons implanté de rigoureuses méthodes d'enregistrement à distance, et nous sommes parvenus à revenir à environ 80-90 % de nos capacités d'origine.

Toutefois, les directeurs voix sont toujours en difficulté. Nous avons établi un département de localisation en février, juste avant le pic de panic du coronavirus. Notre but premier était de fournir une traduction en japonais et des services de doublages pour les jeux hors de l'archipel. Nous prévoyions de nous rendre dans plusieurs conventions autour du globe pour promouvoir de nouveau service, mais tout est pour l'instant en pause de manière indéfinie. Pour pallier cela, nos directeurs de localisation et représentants marketing participent à des conventions en ligne et entrent en contact avec des clients via des services de conférences en ligne, comme Zoom. Nous sommes toujours en train de chercher de nouveaux projets, mais nous prévoyons de continuer à travailler à distance aussi longtemps que nécessaire car la sécurité de tous est primordiale.

Quel genre de contre-mesure avez-vous implanté dans vos studios pour éviter « les trois C » ?

Nous avons instauré plusieurs mesures parmi lesquelles le travail à distance de toute personne qui n'est pas directement impliquée dans un travail d'enregistrement au studio, limitant les zones où le staff actif peut travailler dans la société (afin de limiter les risques de contamination-croisée), et de nouvelles procédures de sessions d'enregistrement à distance. Celles-ci permettent à nos client de se connecter via Zoom, SourceConnect et d'autres programmes, depuis le confort de leur domicile ou de leur bureau, pour observer les séances d'enregistrement qui auraient d'ordinaire nécessité leur présence. Nous avons introduit un équipement audio spécial qui nous permet de streamer sans compression audio pour que nos clients aient un rendu en temps-réel. Cela leur permet de directement diriger et coordonner les sessions avec peu voire pas de délai tout en s'assurant de l'excellente qualité – le tout en restant en sécurité.

Le Yamaha AG06, qui permet d'enregistrer et streamer les pistes audios

Comment les comédiens de doublage ont-ils réagi à ces nouvelles mesures ?

D'abord, beaucoup de comédiens ont été divisés. Bien sûr, en tant que professionnels, ils voulaient travailler, mais considéraient dans le même temps interrompre momentanément leurs activités pour limiter les risques d'infection. Evidemment, l'endroit le plus sûr est son domicile, mais il y a très peu, pour ne pas dire aucun, comédiens de doublage qui disposent du matériel nécessaire à l'enregistrement à leur domicile. La majorité de ces acteurs voulait travailler dans un studio sûr avec des mesures prises pour limiter les risques – et ils ont été très satisfaits des mesures préliminaires que nous avons prises, de même que de nos efforts pour limiter le nombre de personnes à proximité les unes des autres lors des sessions d'enregistrement.

Un échangeur d'air utilisé au studio

Pensez-vous que certaines des mesures que vous avez prises pour assurer la sécurité et l'assainissement vont rester de manière permanente après que les choses soient revenues à la normal ?

Je pense que nous allons continuer à offrir à nos clients une possibilité de supervision à distance pour nos futurs projets. Cette méthode d'enregistrement ne limite pas seulement les risques d'infection, mais a également de nombreux autres mérites.

Nous invitions initialement nos clients à venir aux sessions d'enregistrement pour nous assurer de leur satisfaction quant à la qualité des enregistrements et leur permettions de prendre les choix décisionnels. Désormais, nos clients peuvent confirmer que la qualité leur convient sans avoir à mettre un pied dans le studio. Cela épargne beaucoup de temps, d'argent et de soucis logistiques.

La plupart des projets peuvent se dérouler sans encombre avec un seul technicien sonore, et dans certains cas avec un comédien ou un directeur voix supplémentaire. La plupart des jeux vidéo sont enregistrés avec un seul acteur au poste, sur le fait qu'il n'y a pas de besoin d'enregistrements simultanés en particulier. Réduire le nombre de techniciens permet également d'amoindrir les coûts de production tout en assurant un environnement e travail le plus sûr possible. Je crois que nous devrions maintenir cette politique, et que beaucoup des studios qui ne peuvent s'offrir ce type de services vont se retrouver hors-course dans un futur pas si éloigné. Les studios avec de salles de contrôle excessivement grandes vont également se retrouver obsolètes et vont probablement mettre la clef sous la porte à leur tour.

Avez-vous l'impression que les doublages pour l'animation ont été affectés plus durement par la pandémie, au regard des enregistrements pour les jeux vidéo (qui, vous l'avez mentionné, ne nécessite pas plus d'un acteur à la fois par session) ?Pour les projets qui sont typiquement enregistrés en groupe, a-t-il été nécessaire de diviser les enregistrements pour qu'il n'y ait qu'un seul acteur à la fois ? Je me demandais également combien de temps supplémentaire était-il désormais nécessaire ? Car, d'après ce rapport, il faut pour les anime environ « trois fois plus de temps » pour les projets animés. A quel point le temps d'enregistrement varie-t-il actuellement en fonction des projets et des besoins du client ?

Je pense que l'animation a été plus négativement touché par le COVID-19 que les jeux vidéo. Toutefois, nous avons récemment eu une un projet d'enregistrement qui nous a pris quatre fois plus longtemps que d'ordinaire car nous ne pouvions avoir plusieurs acteurs performant au même poste simultanément.

J'ai également lu que l'improvisation était plus difficile pour les comédiens à cause de la situation actuelle. Êtes-vous d'accord avec cela ?

Je pense que cela a été particulièrement difficile pour les acteurs habitués à être à plusieurs au poste d 'enregistrement, car ils ne peuvent pas avoir accès aux performances des autres ; et en conséquence l'improvisation est devenue encore plus difficile car ils n'ont personne vers qui se tourner.

Votre commentaire quant aux aspects positifs des enregistrements à distance sur le long-terme me semble particulièrement intéressant. Aviez vous déjà pensé à ces nouveaux processus avant la pandémie, ou les considérez-vous plutôt comme une conséquence positive de ces circonstances ?

Avant la crise du COVID-19, travailler à distance ne nous avait pas effleuré l'esprit. Pourquoi ? Simplement car nous n'en avions pas le besoin. En plus de cela, notre connexion internet à l'époque n'était pas suffisante pour nous assurer ces sessions d'enregistrement à distance en haute-qualité. Initialement, nous n'avions pas d'autre choix que de demander à nos clients d'assister aux enregistrements en personne pour diriger les acteurs. En 2016, nous avons eu un client pour un jeu taiwanais demandant un casting et des enregistrements japonais qui s'est déplacé spécialement au Japon, pour une semaine, pour pouvoir participer aux enregistrements. Cela n'aurait pas été un problème avec ce système à distance.

Ce même client travaille actuellement pour une société de jeux aux Etats-Unis, et nous avons en avril dernier mené à bien des enregistrements à distance. Même si le client était de l'autre côté du globe, à Seattle, le lag audio était absolument minime et la session s'est déroulé sans problème. Sans parler de l'argent qu'ils ont pu économiser sans frais de voyage ! Toutefois, le décalage horaire est un problème de taille quand on considère que nos séances d'enregistrement se déroulaient, pour eux, à 4 h 00.

Heureusement, nous avons réussi à nous en sortir indemnes grâce à notre nouveau système d'enregistrement malgré cette crise mondiale. Le COVID-19 a toutefois durement frappé l'industrie, et a limité le nombre de nos opportunités professionnelles. Je pense toutefois que nous avons fait un pas dans la bonne direction en employant de mesures à distance permettant à nos techniciens, à nos clients, et à nos acteurs de rester en sécurité.


Pour plus d'informations sur le studio G-angle, n'hésitez pas à consulter leur site anglais ainsi que leur Twoitter.

Les propos ont été recueillis par notre rédactrice adjointe et correspondante au Japon, Kim Morrissy ; et traduits par nos soins. Remerciements à Sarah Nelkin, grâce à qui cette interview à été possible.


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