[Annecy 2023] Blue Giant

par Guillaume Lasvigne,
Voulez-vous définitivement définir votre édition comme Français ? oui

On imagine très vite ce qui a pu intéresser Yuzuru Tachikawa, réalisateur de Mob Psycho 100 ou Deca-Dence, dans le fait d'adapter Blue Giant. Avec ses expérimentations visuelles à même de traduire sur papier quelque chose d'aussi immatériel que la musique, le seinen de Shinichi Ishizuka a sans doute frappé l'imaginaire du réalisateur par la puissance d'évocation de ses images, la force d'un découpage touchant à l'abstraction et par conséquent, au ressenti. Et autant dire que sur le plan visuel, Blue Giant représente une sacrée réussite.

On peut d'abord penser à Osamu Dezaki dans une identité globale qui fleure bon le siècle dernier, dans un character-design racé (adapté à l'écran par Yûichi Takahashi, également directeur de l'animation) ou dans le sentiment de vie qui se dégage de décors sublimes faisant toujours écho au parcours des personnages. Il y a du Ashita no Joe 2 dans le spectre d'émotions qui se dégagent de chacun d'eux. Ce sentiment d'authenticité domine la totalité du film : les personnages ont une âme (décidément, il en est question à bien des égards dans les films projetés dans ce festival d'Annecy), et celle-ci se reflète dans chacun de leurs environnements.
À ce titre, la direction artistique de Satoru Hirayanagi (Another, Girls & Panzers), conjuguée à la mise en scène de Tachikawa, se fait le prolongement visuel du jazz et de sa capacité à exprimer les émotions du temps présent. L'espace comme extension d'un temps suspendu, une idée qui se répercute dans les nombreuses séquences musicales rythmant le long-métrage.

Car de jazz, il en est forcément question dans cette histoire d'un jeune saxophoniste extrêmement talentueux qui va se lier d'amitié avec deux jeunes adultes qui composeront très vite son groupe. On en revient donc aux expérimentations évoquées plus tôt, cette fois-ci nécessairement doublées d'une bande originale qu'elles incarnaient dans le matériau d'origine. De quoi faire ton sur ton ? Pas vraiment. Car à la baguette, Tachikawa va tenter de toucher à l'abstraction du flow artistique des musiciens par le biais de séquences visuellement dingues et dont les velléités synesthésiques élèveraient l'expérience du spectateur à un niveau sensoriel. Et si l'on parle au conditionnel, c'est qu'au-delà de l'appréciation toute subjective du jazz pouvant vraiment se heurter à la dimension émotionnelle du film, la portée sensitive de ces séquences est purement et simplement annihilée par des passages en images de synthèse archaïques ! Loin d'être rares, celles-ci font passer les personnages pour des pantins désarticulés se dandinant au milieu de la scène… et donnant malheureusement plus envie de rire que de se passionner pour leur art.

Bien sûr, l'épanouissement des protagonistes à travers la notion de groupe captive d'un bout à l'autre et émeut en dépit de quelques ficelles narratives fragiles (l'évolution soudaine du pianiste, la caractérisation peut-être bancale du batteur). Mais au bout du compte, Blue Giant fait partie de ces films « très réussis, mais ». Il demeure cet incroyable potentiel sensoriel auquel des soucis techniques rédhibitoires laisseront le goût amer de l'inachevé.

Note :


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