[Annecy 2023] Anzu, chat-fantôme

par Guillaume Lasvigne,
Voulez-vous définitivement définir votre édition comme Français ? oui

Proposée simultanément à la preview de The Lord of the Rings: The War of the Rohirrim, celle d'Anzu, chat-fantôme (Bakeneko Anzu-chan) était forcément moins attendue mais loin d'être dépourvue d'intérêt. Il faut dire que le projet, basé sur un manga arrêté après un tome relié au Japon, a de quoi susciter la curiosité. Et sur scène, la réalisatrice Yōko Kuno et le producteur Keiichi Kondō (Shinei Animation), ainsi que Julien De Man et Tanguy Olivier (Miyu Productions) n'ont pas manqué de nous faire saliver quant à cette production franco-japonaise.

ROTOSCOPE, ROTOSCOPE EVERYWHERE

Une fois n'est pas coutume, Anzu, chat-fantôme sera réalisé en rotoscopie ! Yōko Kuno est spécialiste en la matière, et ce dès son court-métrage de fin d'études, Airy me. Elle était par ailleurs directrice de la rotoscopie sur Hana & Alice mènent l'enquête, long-métrage de Shunji Iwai présenté en compétition au festival d'Annecy en 2015. “La rotoscopie est très peu utilisée dans l'animation japonaise et quand elle l'est, c'est uniquement pour les séquences de danse,” observe-t-elle. ”Je conçois la rotoscopie autrement. Je ne l'adopte pas pour obtenir des mouvements spectaculaires, c'est au contraire pour obtenir des moments très délicats que la méthode peut être très utile. Dans le film, il y a des personnages, comme les yôkai, très déformés. Je voulais jouer avec ce contraste entre cet aspect et celui, très réel, de la vie quotidienne.”

A donc été relevé le défi d'une rotoscopie sur des personnages non humains. À l'écran, le résultat est convaincant même si le peu d'images découvertes ne permet d'avoir un avis définitif sur l'utilité de cette méthodologie. Toutefois, la démarche d'un film duquel se dégage beaucoup de nostalgie semble réellement aboutie. Là encore, les quelques images étaient limitées mais la beauté qui s'en dégageait se rapprochait nettement d'une sorte de stase estivale adolescente. La diversité des couleurs (notamment pour les contours des personnages) et les décors très détaillés contribuent à ce ressenti. Ces derniers ont d'ailleurs, eux aussi, été filmés au préalable, selon les méthodes de tournage propres à Nobuhiro Yamashita, coréalisateur du film et jusque-là rompu aux productions en prises de vues réelles.
Le cinéaste tenait en effet à conserver un haut degré de liberté selon la dynamique des acteurs, dont il ne souhaitait pas figer le jeu. Cette spontanéité se retrouve donc au cœur des prises de vue et conséquemment dans le résultat final, après rotoscopie.

“L'œuvre originale a cette couche très nostalgique, donc je voulais la mettre en avant. Mais aussi, quand j'observe les films d'animation japonais contemporains, il y a tellement d'informations que l'on oublie presque que les dessins sont en mouvement. Quand je regarde ces films, je vois qu'ils sont très bien faits mais je ne regarde plus le mouvement à cause de cet excès d'informations. Je voulais remettre ce mouvement en avant et c'est pour cela que les personnages sont dessinés de manière très simple.” surenchérit Yōko Kuno.

LES ORIGINES

Il a fallu sept longues années pour concrétiser ce projet d'adaptation. À l'époque, Nobuhiro Yamashita possédait le manga, qu'il lisait lors d'une visite de Keiichi Kondō. Coïncidence, Kuno adorait elle aussi le manga et avait déjà l'idée d'un scénariste pour l'adapter en film, en la personne de Shinji Imaoka, un réalisateur qui permettrait selon elle d'apporter une vraie présence aux différents personnages. Il faut dire que cette histoire située dans une campagne japonaise, ayant pour protagoniste un chat qui ne fait pas grand chose si ce n'est accompagner les habitants dans leur quotidien, nécessitait une approche plus substantielle que le matériau d'origine. Au scénario du manga, l'équipe décide ainsi d'intégrer un personnage inédit, celui d'une jeune fille venant d'une grande ville. Il s'agit d'une adolescente abandonnée par son père : “Elle a beaucoup de frustration et de tristesse en elle, ce qui occasionne un contraste avec Anzu qui est un chat très nonchalant. Il s'agit d'une histoire initiatique : elle décide de venir à la campagne pour changer de vie. L'histoire montre l'évolution de la relation entre ces deux protagonistes.” confie Kuno. D'autres personnages, yôkai, démons…, viendront par la suite se greffer au duo.

Sauf qu'encore une fois, si le sujet intéresse l'équipe en raison de sa différence avec le tout-venant de la production animée japonaise, il ne motive pas grand monde à le financer. Selon Keiichi Kondô, “A chaque fois que je faisais le pitch de ce film à des gens, ils me demandaient si l'œuvre originale avait été bien vendue, ou alors n'aimaient pas la rotoscopie.”
Débute alors une route semée de refus pour le producteur, qui décide dans un premier temps de ne plus travailler avec Yōko Kuno afin que chacun d'eux puisse parfaire ses connaissances en matière de production de long-métrage d'animation. S'ensuit la mise en œuvre d'un court-métrage, Lucky Owl With Shimako que Kono et Yamashita coréaliseront. Si la production s'étale sur cinq ans, elle ne suffira pas plus à convaincre les financiers de gérer l'adaptation d'Anzu. Kondo se souvient : “Ce qui me chagrinait, ce n'est pas du tout parce que les gens ne comprenaient pas l'intérêt de cette œuvre : au contraire, ils le comprenaient. Ce qui était le plus dur pour moi, c'est que les éventuels producteurs trouvaient difficile de produire ce film. C'est quelque chose que je peux comprendre car les gens recherchent la facilité, personne ne veut fournir des efforts pénibles pour produire un film. J'étais dans une impasse.”

L'ARRIVÉE DE MIYU PRODUCTIONS

C'est à cette époque que Yōko Kuno évoque ceux qui deviendront les futurs producteurs français, qu'elle avait rencontrés lors d'un festival. Elle leur a elle-même présenté le projet, dont elle souhaitait qu'il devienne son premier long-métrage. Malgré les difficultés supposées de communication entre Japonais et Français, un accord fut trouvé. Pour autant, un partenariat franco-japonais n'est pas évident : le marché japonais est très fort et n'a fondamentalement pas besoin d'aller chercher des financements en dehors de l'archipel. Par ailleurs, il n'y a aucun traité de coproduction entre l'Hexagone et l'Archipel, complexifiant ainsi la recherche de financements.

Un pilote est d'abord réalisé. S'il s'agit d'un test technique, il s'agit aussi d'une première tentative de développement entre les deux pays sur les décors, afin de s'assurer que tout le monde était au même niveau. Bien entendu, cela permet en outre de présenter le projet pour le financer. Une première collaboration rythmée par de nombreuses difficultés, qui ont toutefois permis d'optimiser les méthodes de travail pour le long-métrage final. Il a ensuite fallu répartir et équilibrer les tâches lors de la production : les Français sont d'abord chargés des décors et des couleurs des personnages, ce qui mènera à un constat sur les difficultés en matière de production ou de communication, avec entre autres l'obligation de visioconférences “longues et parfois un peu confuses” occupant trop de temps à l'échelle d'un long-métrage.

Pressée par l'organisation du festival en raison du manque de temps, cette session de Work in Progress a à peine pu laisser la parole au directeur artistique, qui s'est toutefois fendu d'une observation intéressante sur le fonctionnement de cette coproduction : “La mise en couleurs des personnages nous a posé énormément de problèmes, tout simplement parce que c'est la partie la plus automatisée, la plus rapide, la moins artistique disons, en général. Cela donnait donc une imbrication très importante des méthodologies de Shin-Ei et de Miyu. Comme à ce moment-là, on n'avait pas eu beaucoup le temps d'explorer les méthodologies des uns et des autres, on a perdu énormément de temps en manipulations de fichiers pour transcoder, transformer chaque élément.“
Miyu Productions obtient donc finalement la direction artistique générale du film et par ce biais, un temps de recherche graphique plus important permettant de gérer également l'étape du compositing.

Anzu, chat-fantôme a manifestement toutes les chances d'être diffusé lors de la prochaine édition du festival. Le film a même déjà un distributeur français avec Diaphana, qui n'a toutefois pas encore communiqué de date de sortie potentielle.
Quoi qu'il en soit, le charme des premières images opère à plein et promet une ravissante balade estivale en compagnie d'Anzu et de ses camarades yôkai.


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