Interview avec Camille Le Guilloux, manager de projet au Studio no Border

par Kim Morrissy,
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En 2018, l'artiste réalisateur et directeur artistique français Thomas Romain a fondé le Studio No Border, un studio multimédia situé au Japon. Il a participé à de nombreux projets, parmi lesquels CAROLE & TUESDAY (notamment sur le design de l'univers), et plus récemment, les designs des skateboards de Sk8 the Infinity. Notre équipe a eu la chance de discuter avec Camille Le Guilloux, manager de projet au studio, au sujet du rôle du studio sur SK8, mais également sur ses propres projets.

©BONES, Hiroko Utsumi/Project SK8

Alors, maintenant, vous êtes à Nakano ?

La tout de suite, je suis chez moi. Nous essayons de ne pas être ensemble, donc nous allons au studio à tour de rôle. Nous faisons comme ça depuis le début du deuxième Etat d'Urgence. Ce n'est pas un problème pour moi puisque je suis habituée à coordonner les artistes qui vivent à l'étranger. D'autres ont plus de problèmes à travailler depuis chez eux.

L'année passée, le premier confinement a été plus difficile car nous travaillions sur un jeu de plateau avec Sony, et nous communiquions beaucoup en français et en japonais. Il y a eu beaucoup de documents à préparer.

Comment vous-êtes vous retrouvée à travailler au Studio No Border ?

J'ai travaillé pendant deux ans à l'ambassade du Japon, et j'organisais tout genre d'événements autour des livres et de la traduction, comme le Festival de manga Kaigai dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Sur ce projet, j'ai fait la rencontre de Tony Valente, l'artiste du manga Radiant. Je crois que c'est son éditeur qui m'a mis en relation avec Thomas Romain, pour organiser une séance de dédicaces. J'étais ravie car je suis fan de son travail, comme Oban Star-Racers, par exemple. Je regardais sa série lorsque j'étais au collège. C'était vraiment chouette de le rencontrer.

Lorsqu'il dédicaçait ses livres, il m'a dit « J'ai juste ouvert ce studio. Je cherche quelqu'un qui puisse assurer l'administration en français, en anglais, et en japonais. » A ce moment-là, je cherchais un autre travail car mon contrat n'était que pour une durée de deux ans. J'étais ravie, et mes collègues à l'ambassade se disaient « Ah, Camille peut le faire ! »

Et c'est comme cela que j'ai atterri au Studio No Border, qui est vraiment un super endroit car nous ne sommes pas qu'un studio d'animation. Nous travaillons avec d'autres studios sur la production de design des décors, des world art concept, et nous produisons également des BD (ndt : au sens large), jeux de plateau, jeux vidéo, et projets d'animation. C'est vraiment bien.

Pourriez-vous nous parler de ces autres projets ?

Je vous ai parlé du livre de Thomas Romain, Traits de famille. Cet ouvrage était plutôt populaire sur Instagram et sur YouTube. Les personnages étaient sympas. Nous avons décidé de créer différents médias sur eux. Pour le moment, nous travaillons sur un jeu de société, une BD française publiée en France, mais également un projet de jeu vidéo, et, si possible, un projet d'animation.

Est-ce basé sur les dessins qu'il a faits avec son fils ?

Oui, c'est cela. Est un deuxième ouvrage va être publié, donc d'autres personnages vont faire leur arrivée.

Pourriez-vous nous décrire la relation du studio avec Ankama ?

Le studio a été fondé en 2018 par Thomas Romain avec l'aide d'Ankama. Ankama est une société française qui a environ vingt ans. Elle est notamment connue en France pour son jeu Dofus. De Dofus, beaucoup de médias ont été créés : animations, BDs, jeux… Ce n'est pas habituel en France, mais Ankama est une société de médias mixtes (ndt : ou transmédias). Je pense que la plupart des gens de mon âge ont joué à Dofus. C'est très connu.

Notre objectif au Studio No Border est de devenir un mini-Ankama, au Japon, c'est pour cela que nous créons notre propre univers et que nous essayons de le porter sous différentes formes.

Et vous concevez des designs ou autres pour d'autres studios ?

Oui. L'un de mes collègues, qui est en France actuellement, travaille principalement pour des clients. Stanislas Brunet a fait les croquis pour le skateboard Fleurs de Cerisier (Cherry blossom) dans Sk8 the Infinity. C'est un genre de skateboard high-tech. Il est un artiste spécialisé dans la SF et les méchas. En France, c'était très difficile pour lui de trouver du travail car son style est trop spécialisé, il travaille donc pour beaucoup de clients japonais. Il a également travaillé avec le studio BONES sur CAROLE & TUESDAY. Thomas et Stanislas ont travaillé ensemble sur le concept art du monde de cette série.

Vous avez été assistante de production sur Sk8, c'est exact ?

Oui, je travaillais avec Juliette Mercier, comme son assistante, car elle ne parle pas japonais. J'étais avec elle pour les réunions, traduisant pour elle du japonais vers le français et du français vers le japonais.

Au studio, j'étais manager. Je gérais les factures et autres, mais je pouvais également aider mes collègues avec les clients, en traduisant. J'ai vraiment aimé travaillé avec Bones, particulièrement avec la réalisatrice Utsumi sur son projet.

Vous avez mentionné plus tôt le Skateboard Fleurs de Cerisier. On dirait qu'il y a un peu de SF dans la série.

Pas vraiment car il était important pour Utsumi que les skateboards soient réalistes. On peut les fabriquer soi-même. Le skateboard Fleurs de Cerisier est un peu particulier car il est le seul qu'on ne peut pas faire dans la vie réelle. Le premier sketch a donc été fait par Stanislat Brunet, puis Juliette l'a retravaillé.

Combien de eisigns le studio a-t-il fourni au total ?

Le studio a conçu neuf designs de skateboards, et d'autres designs, aussi, comme les stickers et autocollants « S », qui sont illustrés sous les skateboards.

Voici la liste des employés du studio ayant travaillé sur SK8 :

  • Juliette Mercier (designs des skateboards pour Reki, Langa, MIYA, SHADOW, Cherry blossom, JOE, ADAM)
  • Stanislas Brunet (designs des skateboards et des autocollants pour Kikuchi, sketchs pour le skateboard Cherry blossom)
  • Ayumi Kakei (autocollants pour Reki, Langa, MIYA, sticker “S”)
  • Thomas Romain (autocollants pour ADAM)
  • Loïc Locatelli (autocolants pour JOE et SHADOW)

A quel moment de la production le studio a-t-il été impliqué ?

Je crois que c'était plutôt au début, car, bien sûr, les personnages étaient prêts, mais toujours en développement. Les skateboards étaient vraiment importants, presque autant que les personnages. Je pense donc que nous avons aidé presque depuis le début avec les recherches. Nous avons démarré en août 2019.

Quel type de recherches avez-vous effectué pour dessiner ces designs ?

Juliette Mercier, qui était au studio à ce moment, connaissait beaucoup de choses sur le monde du skate. Bones a également engagé un consultant de qui nous avons reçu beaucoup de références précises pour les decks, les figures que les personnages pouvaient faire, et les roues. Même les vis. On nous a tout montré. Et Juliette a elle aussi effectué beaucoup de recherches, comme la praticabilité de certains designs. Par exemple, si le deck est trop large, il toucherait le sol lors des virages, ce qui est donc impossible.

Juliette a travaillé en 3D, elle a donc produit des designs en CG, avant de les dessiner en 2D en digital.

Elle a donc créé des modèle en 3D pour voir à quoi ils ressembleraient ?

C'est comme ça qu'elle travaillait. 3D d'abord, pour voir si physiquement il fonctionne, car les références fournies par Bones étaient si précises qu'il était très difficile de se rendre compte si tout était cohérent. Après cela, elle dessinait en 2D.

Comment faites-vous pour que les designs reflètent la personnalité des personnages ?

C'était un point très important pour Bones aussi, car chaque personnage a sa propre personnalité et son style, comme ses cascades lors du skate. D'abord, la réalisatrice Utsumi nous montrait les personnages et nous racontaient leurs histoires, et ce qu'elle voulait qu'ils fassent lors des couses. Elle nous montrait également des vidéos de leurs styles.

Tous les styles des decks ont été choisis avant le début. Par exemple, ADAM a une planche longue car il est cool. Son style est plus semblable à de la danse, plus lent que les autres. D'un autre côté, le deck pour Langa n'est pas ordinaire. Il ressemble à un snowboard car il est originaire du Canada et qu'il a déjà fait du snowboard.

Et après cela il y avait une deuxième étape, car Bones a demandé au Studio No Border de réaliser les autocollants pour tous les skateboards. Ils auraient pu demander à une personne de dessiner différents styles pour chacun des personnages, mais au lieu de cela, Utsumi a demandé à plusieurs personnes du studio de réaliser ces illustrations. Elle désignait un artiste en particulier pour un personnage, donc les designs étaient vraiment différents. Ce n'était pas un artiste dans différents styles, mais différents artistes dessinant dans leur propre style.

Comment était-ce de travailler avec la réalisatrice Utsumi ?

Elle est très gentille et préparait beaucoup de réunions, c'était donc très agréable de travailler avec elle. Je pense qu'elle est réputée pour être très, très attentive à tous les détails. Lorsqu'on refaisait des éléments, elle repérait les petits accrocs que personne n'aurait vu à moins de les chercher. Elle corrigeait tous les détails, nous devions donc être très vigilants.

Les directions artistiques très précises étaient faciles à expliquer aux artistes. C'est mieux que lorsqu'un réalisateur dit « Faites comme vous voulez », que vous faites comme vous voulez mais que, finalement, ce n'est pas ce que le réalisateur attend… Ce qui vous amène à faire et refaire encore. Usumi n'était pas comme ça et expliquait tout ce qu'elle attendait avec méthode. Elle était très contente.

Et même traduire était facile ?

Lors de la traduction, j'ai du vérifier beaucoup de vocabulaire car je n'étais pas du tout familière au monde du skate, et chacun des termes est très précis. Parfois, au cours des meetings, je devais demander « Qu'est-ce que c'est ? » (rires). Heureusement, la plupart du temps, le terme était identique en japonais, en anglais, et en français. C'était plutôt facile de traduire pour tout le monde.

C'était un peu comme si vous appreniez un nouveau japonais ?

Oui. (riges) Et anglais, et aussi français en même temps.

Avez-vous vu les épisodes finis ?

Pas encore. (rires) J'ai vu toutes les vidéo promotionnelles, mais pas encore les épisodes télévisés. Je sais que Juliette les a vus en France, mais comme je n'ai pas de TV, je manque beaucoup des projets à moins qu'ils ne soient sur Netflix

Le Studio No Border a recruté beaucoup de talent à l'international, n'est-ce pas ?

Nous essayons. Pour l'instant, nous avons beaucoup de Français, et nous avons Ayumi Kakei, qui est notre seule artiste japonaise.

Est-ce qu'elle peut parler français ?

Non. Mais nous essayons tous de parler japonais avec elle. Thomas et moi parlons tous deux le japonais, de même que certains de nos autres collègues.

Nous disposons également d'un animateur 3D indonésien, et nous recrutons en ce moment des Russes. Donc oui, nous sommes un studio international, mais principalement français.

J'imagine que le langage commun du studio est le japonais ?

C'est le français. Nous parlons français, et dans l'équipe 3D ils parlent en anglais.

Il semble que le studio fasse beaucoup de choses en même temps. Est-ce difficile à coordonner ?

Ce n'est pas trop difficile en ce moment car nous sommes une petite équipe et nous pouvons tous parler en même temps. Je vérifie ce que tout le monde fait. Mais oui, certains d'entre nous, comme le design du jeu de société, ne parlent pas anglais. Il ne parle que français. Comme nous recrutons du monde provenant du paysage international, cela pourrait devenir problématique d'échanger tous ensemble. Mais je pense qu'on s'en sortira. On trouvera un moyen.

Merci de nous avoir accordé votre temps !


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