Keiichi Hara : rencontre avec le réalisateur du Château solitaire dans le miroir

par Guillaume Lasvigne,
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Le 13 juin dernier, nous avons eu l'opportunité de rencontrer Keiichi Hara à l'occasion de la sélection en compétition du Château solitaire dans le miroir, son dernier long-métrage. Nous avons ainsi pu l'interroger sur son retour réussi, quatre ans après l'échec Wonderland, le royaume sans pluie, le temps de vingt trop courtes minutes.

©2022 «Lonely Castle in the Mirror» Film Partners

Pourquoi avoir décidé d'adapter ce roman en particulier ?

En fait, la proposition de travailler sur ce film m'est venue de manière très concrète de la part d'un producteur, qui avait ce roman en tête et qui voulait en faire un long-métrage d'animation. Ce qui m'a plu, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un simple roman de divertissement, mais d'un récit qui dépeint un certain nombre de problèmes qui se posent à la jeunesse japonaise. C'est ce qui m'a motivé et m'a donné l'énergie d'envisager ce projet d'adaptation.

Vous avez adapté un grand nombre de romans (Un été avec Coo, Colorful…) ainsi qu'un manga (Miss Hokusai). Approchez-vous différemment votre mise en scène selon la nature du matériau d'origine ?

Je pense que c'est quelque chose qui se joue à chaque projet. À chaque fois, il y a des différences. Sur ce film, l'un des enjeux a été de faire coexister d'une part un environnement qui est celui du Japon quotidien, de tous les jours, avec ses paysages, avec d'autre part - un peu plus tardivement dans le film - l'apparition d'un château avec style purement occidental.
L'un des enjeux qui a séduit le public japonais est peut-être lié à ce contraste entre ces différents espaces. Au contraire, peut-être que pour le public occidental ce château n'est pas si intéressant que ça en tant que tel. Mais pour un public japonais, ce type de château présente en lui-même une forme d'attrait architectural, une forme d'originalité.

Comment avez-vous pensé le design de ce château, justement ? Il y a cette dualité entre un extérieur d'influence médiévale et un intérieur plus moderne.

C'est exactement ça. Ce que vous venez de décrire, cet écart entre époques, c'est dans ces termes que j'ai confié le travail de création graphique au designer (Ilya Kuvshinov, character-designer sur Wonderland, le royaume sans pluie, ndlr) qui a conçu ce château. J'avais en tête ces différentes époques et c'est quelque chose dont je comprends que ça puisse susciter une sorte d'hésitation, de surprise pour un spectateur occidental qui repèrera ces différences. Mais pour le public japonais, ce n'est absolument pas décisif, c'est au contraire une forme de jeu qui est possible avec ces références. Pour vous donner une raison concrète à ce choix dans cet écart entre époques, pour moi l'aspect extérieur du château devait être celui d'un château médiéval, avec cette dimension de protection, de résistance à des assauts possibles parce qu'effectivement, ce lieu est voué à protéger des enfants, c'est pour eux un endroit où ils se sentent en sécurité. Par contre, l'intérieur du château devait être un endroit où les enfants se sentent bien, qu'il soit suffisamment plaisant pour eux, pas seulement dans lequel ils soient en sécurité mais dans lequel ils aient envie de passer du temps. C'est en réponse à ces enjeux divergents que le château a pris cette forme elle aussi un peu divergente.

©2022 «Lonely Castle in the Mirror» Film Partners

C'est également comme ça que je l'ai ressenti, et cela rejoint cette dualité de l'imaginaire du film : le château est un endroit sûr mais les enfants ne peuvent y rester trop longtemps sous peine d'être tués (dans le film, les enfants doivent quitter les lieux avant 17 h sous peine d'être dévorés par un loup géant, ndlr).

Il n'y a pas de lieu éternellement sûr. Ce dont j'avais conscience, c'est qu'il devait y avoir des limitations et que l'on comprenne effectivement qu'il n'y a pas de solution miracle.

Un point que l'on retrouve beaucoup dans votre filmographie, c'est cette lenteur dans la narration, cette volonté de poser vos personnages, de laisser sa place au silence…

Il faut bien être conscient que ce que l'on attend des créateurs, dans leur registre aux uns et aux autres, dépend de l'époque. Les attentes dépendent de l'époque dans laquelle on vit et aujourd'hui il y a effectivement une tendance à demander et financer des projets au tempo très rapide et qui soient les plus limpides, les plus faciles à suivre possible, qui donnent un maximum d'informations pour que le spectateur n'ait pas d'efforts à fournir. Et en effet, cela ne m'intéresse pas beaucoup de travailler sur des projets qui aillent à ce point-là dans le sens des attentes préalables du spectateur. Il me semble que c'est le rôle du réalisateur de contrôler la temporalité du film et c'est pour ça que sur ce film-ci, j'ai choisi délibérément d'inscrire la première moitié du film dans un rythme lent, qu'il prenne son temps. Et à partir d'un moment dans le récit, il y a un tournant dramatique. Je pense que c'est précisément parce qu'il y a cette première moitié plus lente que ce qui suit devient envisageable.

Il a fallu 5 ans et demi pour produire le film. Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle eu un impact sur sa réalisation ?

D'habitude, quand je travaillais sur un projet, il y avait cette évidence que je devais me rendre au studio tous les jours. Lorsque les différentes mesures de restriction ont été mises en place au Japon, j'ai été amené à travailler chez moi. Cela a bouleversé mes habitudes quotidiennes et je ne parvenais pas forcément à m'adapter à ce nouveau rythme. C'était un peu bizarre, et finalement j'en ai pris l'habitude. J'ai fait tout le story-board du film chez moi et c'est quand j'ai fini de le travailler que je me suis rendu compte que j'avais pu le terminer plus rapidement que lorsque je le faisais au studio. Et l'un des enjeux là-dedans, c'est bien sûr les temps de trajet quotidiens entre chez moi et le lieu de travail. J'ai éprouvé un malaise jusqu'à la fin du story-board mais au final, ça m'a vraiment permis de le finir plus vite.

©2022 «Lonely Castle in the Mirror» Film Partners

Un autre événement dramatique a ponctué la production, c'est le décès de Takashi Nakamura (directeur artistique d'Un été avec Coo ou Wonderland, ndlr), qui devait superviser la direction artistique.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec lui ? Que reste-t-il de lui dans le film ?

C'est un événement qui s'est produit sans que personne n'ait pu s'y préparer en quoi que ce soit. Il n'a pas été hospitalisé, il n'est pas tombé malade, il est décédé sans le moindre signe avant-coureur, on a donc été confrontés à son départ de manière très soudaine mais il fallait continuer le film. À mes yeux, il fait partie de l'équipe principale de ce film, même si lui n'a malheureusement pas eu le temps de fournir des images en couleur dans ce projet. Mais pour moi, il en fait partie et c'est pour ça que j'ai voulu avoir ce petit message à la fin, qui lui est dédié.

Propos recueillis par Guillaume Lasvigne à Annecy, le 13 juin 2023. Merci à Aude Dobuzinskis pour nous avoir permis de réaliser cette interview.


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