Interview : les secrets de Deca-dence

par Lynzee Loveridge & Kim Morrissy,
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La dernière fois que nous avons interviewé l'équipe de Deca-Dence, nous n'avions aucune idée des secrets que la série avait en stock. Le réalisateur Yuzuru Tachikawa est de retour pour une deuxième session, aux côtés du designer des Cyborgs, KiyotakaOshiyama, et du designer de Deca-Dence ? Hiromatsu Shu. Sans vous faire patienter davantage, l'interview ! (Soyez toutefois vigilants, cet échange spoil les événements des épisodes 2 et des suivants)

(Pour Yuzuru Tachikawa) Le monde de Deca-Dence et la société Solid Quake sont visuellement très différents. Qu'est-ce que l'équipe de production cherche à communiquer au travers de ces différents styles ?

Ma première priorité a été de m'assurer que les deux protagonistes se dressaient face à deux environnements très distincts. Je voulais dépeindre une histoire où les deux s'influencent l'un l'autre, vivent, et évoluent. Je voulais également me mettre au défi de créer quelque chose qui basculerait entre deux écrans si détachés l'un de l'autre que l'on aurait l'impression qu'il est question de deux œuvres différentes. Cela a été nécessaire dans l'élaboration des dirigeants du monde, qui considèrent les « humains » comme des produits, dont l'apparence est drastiquement différente des humains. Cela comprend également la question de l'éthique de diffusion.

Dans le monde de Deca-Dence, la majorité de l'humanité a disparu et les ressources de la planète ont été détruites. Une société a acheté l'humanité et contrôle les robots. Y a-t-il des thèmes dans la série sur lesquels vous aimeriez que les spectateurs réfléchissent ?

Les robots qui peuvent être actifs pendant des centaines d'années si leur maintenance est assurée et les humains qui sont traités comme de la marchandise dans un cadre de divertissement. Cet anime met en scène ce qu'est la « vie » depuis ces deux points de vue.

Les robots comme Kaburagi disposent de tout un panel d'émotions, mais… ils sont très mignons. Est-ce intentionnel afin de créer un lien entre le spectateur et les robots malgré le fait qu'ils ne soient pas humains ?

Le fait que la société objectifie les humains les rend, aux yeux des spectateurs, antipathiques, donc j'ai voulu m'assurer que leurs designs étaient attachants. Cela me ferait plaisir que vous les trouviez mignons.

Qu'est-ce qui vous a conduit à révéler le contexte de l'anime dans le deuxième épisode plutôt qu'au début ou qu'à sa fin ?

Le plan original était de révéler ce cadre dans l'épisode quatre, lorsque Kaburagi essaie de dissuader Natsume de participer au combat. Mais il était difficile de comprendre les émotions de Kaburagi tout en cachant la réalité du monde secrète, et il était difficile de représenter la tension dramatique que nous cherchions à traduire. Lever le voile sur le contexte dans l'épisode deux revenait à renverser tous les éléments fondamentaux et les expectations bâties dans le premier épisode, aussi n'étais-je pas très serein quant à savoir si cette décision serait bien reçue par le public.

(Pour Kiyotaka Oshiyama) Quelles sont les circonstances qui vous ont conduit à assurer le design des cyborgs ?

J'ai pour la première fois rencontré Tachikawa lorsque je réalisais Flip Flappers - il a travaillé sur le 6e épisode et les suivants. Grâce à ce contact, j'ai travaillé sur Mob Psycho 100 que Tachikawa a réalisé. Je n'apparais pas dans les crédits, mais j'ai géré les art concept designs du décor pour le repère des ennemis et pour d'autres éléments.

A partir de là, on m'a demandé de gérer le design des cyborgs de cette série.

Lorsque vous créer le design de personnages ou de créatures, faites-vous en sorte de ne pas dessiner quelque chose qui ressemble à ce que vous avez déjà fourni par le passé ?

A chaque fois que je pense à des designs pour une œuvre originale, il y a ce sentiment de découverte, de quelque chose de jamais-vu, ce qui est très important pour moi. C'est ce qui permet de m'assurer que le public et l'artiste sont séduits par l'œuvre lorsqu'ils la découvrent, mais ce qui est le plus important pour moi repose sur mon désir de ne pas dessiner encore et encore la même chose. Si, par exemple, je me dis que je vais dessiner quelque chose de complètement différent de mes habitudes, ma patte risquerait bien de disparaître – j'essaie donc toujours de faire de mon mieux pour avoir une approche neutre pour créer un design qui correspond au mieux. Aussi, j'ai une fois entendu dire que Masahiko Minami, président du studio Bones, aurait dit « Ne vous inquiétez pas. Quoi que Oshiyama dessine, ça sera du Oshiyama. »

Quel genre de consignes avez-vous reçu du réalisateur ?

Ce qui m'a marqué c'est lorsque que, au cours de la première réunion, il a dit « les cyborgs ne comprennent pas la mort. »

C'est pour cela que Deca-Dence est un jeu qui vend la mort, mais je pense que lorsqu'il a été conçu, les cyborgs ressentaient moins la peur que les humains, à titre comparatif. Le réalisateur Tachikawa m'a également demandé de faire des designs mignons de manière à ce que les spectateurs s'attachent à eux – par les couleurs et les formes j'ai donc tenté de traduire leur absence de peur pour la mort : courts sur pattes avec de grands yeux, un côté enfantin mignon, et leur détachement de la réalité.

Quelle importance a l'univers postapocalyptique dans vos designs ?

Les cyborgs n'ont peut-être pas la notion de la mort, mais le reste de leur pensée est très humaine. L'un de mes livres favoris est Le Chat qui a vécu un million de fois, une histoire à propos d'un chat immortel qui découvre l'amour et meurt pour la première fois. Je pense que cette histoire propose une fin heureuse, mais pour les cyborgs qui n'aiment pas et qui ne sont pas autoriser à mourir, dans un jeu qui redémarre à l'infini, je pense qu'on peut dire qu'ils ont une mauvaise fin pour nos critères.

Un certain nombre de personnages ont une apparence de cyborg et une apparence humaine. Comment avez-vous réussi à traduire la personnalité des personnages sous leurs formes de cyborg ?

Lorsque je réalisais le design des cyborgs, les seuls humains à disposer d'un concept design étaient Kaburagi et minato. Kaburagi porte une armure mécanique, j'ai donc apporté à son visage un masque de soudure. J'ai également apporté à son costume la visibilité apportée par les couleurs des uniformes des hommes de chantier afin de traduire son côté bourru et sa masculinité taciturne. Selon les consignes données par Tachikawa, je lui ai donné des cheveux en pique qui ressemble à sa chevelure humaine et un sac-à-dos rocket en souvenir de l'époque où il essayait d'être cool.

Minato dispose d'un corps plus récent que Kaburagi, je lui ai dont donné une forme plus pointue et proportionnée. Je lui avais donné des membres courts, mais Tachikawa m'a conseillé d'accentuer ses articulations afin de lui donner des mimiques qui lui sont propres. Chaque personnage a également sa palette de couleurs – de cette manière, leurs designs ne s'éloignent pas trop de leur forme humaine.

(Pour Hiromatsu Shu) L'exétieur de Deca-Dence est très détaillé. Combien de détails ont été ajoutés avec le temps, et combien de temps vous a-t-il été nécessaire pour finaliser le design ?

J'ai oublié combien il y a détail, mais j'ai essayé d'en ajouter autant que pour une ville, à l'instar d'un château ou d'une forteresse (rires). J'ai eu l'impression que c'était comme si l'intégralité de Tokyo était condensée dans une structure verticale. D'un point de vue visuel, ajouter plus de détails permet également de rendre l'échelle. J'ai ajouté des éléments pour retranscrire les fonctions et niveaux que Tachikawa voulait intégrer. Au moment du brouillon, on avait l'idée de « la bouche d'un visage géant », et après des échanges ultérieurs, nous en avons fait un portail d'où proviennent les assauts. Aussi, à cause de cette fonctionnalité, nous avons créé une voie rapide descendante qui apparaît lorsque les boucliers frontaux s'activent. Tout cela a pris environ six mois.

L'intérieur de la forteresse restait-elle dans votre esprit lorsque vous étiez affairé à designer son extérieur ?

Dans les dessins référentiels que j'ai reçus au début de mes esquisses, les fonctions intérieures et la structure verticale était déjà bien définie. Seule la structure verticale, d'après-moi, avait un impact sur l'extérieur, je n'ai donc eu aucune intention de m'occuper de l'intérieur (rires).

Ensuite, alors que le travail avançait et que j'ai eu à réfléchir aux mécanismes de transformation, je me suis retrouvé bloquer car j'ignorais comment ranger le canon de l'arme. Je n'ai donc pas eu le choix que de penser à l'intérieur. J'ai donc repris les dessins référentiels, et les différents niveaux étaient représentés de manière superficielle. Lorsque j'ai traduit les données en objet 3D, tout ce qui était derrière la coque était comme un organe interne – ce qui signifie, donc, qu'il n'y avait de place ni pour les os ni pour les muscles qui pourraient servir au stockage. En réévaluant l'intérieur, j'ai été capable de résoudre les problèmes qui impactaient l'extérieur. En fin de compte, il était impossible de faire sans.

Comment avez-vous tenté de traduire cette notion de dystopie dans vos designs ?

Pour moi, la dystopie ne se caractérise pas uniquement par l'absence de couleurs ou par un niveau de vie qui ne témoigne d'aucune évolution. Les tankers ont une vivacité et une liberté et une individualité (limitées par Albeit). Du point de vue des humains, leur monde dispose d'une atmosphère postapocalyptique, a travers laquelle le monde de « Deca-Dence » est représenté.

En comparaison, le monde cyborgs, qui scande des propos tels que « il faut se débarrasser des bugs », est plus proche de la dystopie de 1984. Pour les cyborgs, le monde de « Deca-Dence » est un monde dans lequel ils s'échappent pour se distraire. Là, on est proche de la dystopie de Le Meilleur des mondes. Lorsque les classes privilégiées dirigent, de manière perpétuelle, sans même mettre un pied dans d'autres mondes, c'est là pour moi la dystopie. Je voulais traduire ceci avec le cœur de Deca-Dence, les mécanismes surréalistes (les fibres musculaires éclairées, la section organique des armes, etc), et par le décalage entre la tour de contrôle et la ville.

Quelles sont vos plus grandes inspirations en tant qu'artiste ?

Je m'inspire beaucoup de mon quotidien. Je passe chaque jour un certain temps à dessiner, donc quand je vais dehors et regarde un film, joue à un jeu, lis un livre ou fais un voyage, il m'est plutôt aisé de m'y laisser aller et de me recharger. L'art est une forme d'expression ainsi que le résultat d'une expression, je dois donc m'assurer de ne manquer ni de pratique ni de pensée critique. En ce sens, l'inspiration n'est pas un flash ou une vision lumineuse, mais plutôt le meilleur dénominateur entre ce qu'on peut exprimer et ce qu'on veut exprimer.

Qu'avez-vous pensé en découvrant ce cadre de science-fiction ? Comment votre compréhension de l'histoire a-t-elle influencé vos designs ?

D'abord, quand j'ai réalisé qu'il ne s'agissait pas de SF brute et qu'il y avait une notion de jeu associée à elle, j'ai été soulagé. Lorsque l'on m'a expliqué l'histoire, je me suis dit qu'il y avait largement assez d'idées, ne serait-ce que par les requêtes des designs. Certaines des expressions qui m'ont, à ce moment-là, posé problèmes sont « haut de 3 km », « un jeu avec un cadre réelle comme le Truman Show », et « les armes sont des coups de poing », que j'ai eu beaucoup de mal à visualiser dans ma tête. Aussi, à chaque fois que j'avais une question sur le scénario, Tachiawa prenait le temps d'y répondre et d m'expliquer.

En conséquence, je pense avoir été en mesure de créer un design qui sert les intentions de l'histoire. Certains des angles et visuels que j'ai réalisés en premier ont été conservés dans les scènes. Je suis content d'avoir été en mesure d'étendre le monde de Deca-Dence. Les designs du cœur, du site détruit, et de la forme finale ont été ajouté ultérieurement, aussi aurais-je aimé avoir pu y incorporer plus d'éléments communs, tels que des codes ou des symboles… C'est mon petit regret. J'y pense à chaque fois que je regarde les épisodes (rires). J'aurais également aimé en apprendre plus sur l'histoire, mais je me servirai de cette expérience pour mon prochain travail.


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